Le Système Cardiovasculaire

"Dans l'environnement terrestre, les contraintes dues à la pesanteur s'exercent surtout sur le système cardiovasculaire des animaux, qui contient un élément fluide. De tous les vertébrés, les serpents sont ceux dont l'appareil circulatoire présente les adaptations à la pesanteur les plus variés, et leur remarquable diversification est due notamment à l'efficacité de ce système.

 

Les vaisseaux sanguins, sortes de tubes à parois minces et déformables, subiraient en position verticale des déformations. Les parois distendues par la pression artérielle ajoutée à celle de la pesanteur laisseraient échapper le plasma, qui se répandrait hors des capillaires : la pression sanguine chuterait et les organes principaux ne seraient plus suffisamment irrigués. 

 

Toutefois, il existe des serpents arboricoles qui évoluent sur des surfaces verticales. La couleuvre à goutellette Pantherophis guttatus, qui vit en Amérique du Nord, grimpe aux arbres pour dénicher des oeufs d'oiseaux. Les boas arboricoles peuvent se suspendre tête en bas lorsqu'ils poursuivent une proie. Comment maintiennent-ils leur pression sanguine lorsqu'ils ont la tête en haut ou la tête en bas ? Ces comportements seraient impossibles sans un système cardiovasculaire capable de maintenir une circulation sanguine normale même lorsque le corps quitte la position horizontale.

 

Un dispositif expérimental permet de connaître la pression du sang en plusieurs endroits du corps. L'animal est placé dans un tube en plastique, mobile autour d'un pivot central, et des cathéters contenant un liquide physiologique, introduits dans les vaisseaux sanguins, mesurent les variations de la pression sanguine. Les effets de la pesanteur sur le système cardiovasculaire sont appréciés par différentes inclinaisons du tube.

Le serpent tigre (Notechis scutatus) est un Elapidé australien aux moeurs terrestres, dont l'habitat est varié, des plaines inondables aux forêts tropicales. Lorsqu'il est dressé tête en haut, sa pression sanguine augmente au milieu du corps, celle du crâne diminue légèrement, le sang s'accumule dans la queue, mais on n'observe pas de défaillance circulatoire. Ce serpent est donc pourvu d'un ensemble de régulations physiologiques de la pression sanguine.

 

Les Hydrophiinés, des la famille des Elapidés, sont des animaux marins, strictement aquatiques, mais issus au cours de l'évolution de formes terrestres. Supportent-ils encore la pression de la pesanteur ? En effet, dans l'eau, le corps est en sustentation, la pesanteur étant équilibrée par la poussée d'Archimède.

 
A mesure que l'inclinaison du tube augmente, la tête du serpent vers le haut, le coeur bat plus rapidement, sans parvenir à compenser la chute de la pression sanguine dans le cerveau. Une diminution de 39mm de mercure chez un serpent marin entraîne la fermeture de ses vaisseaux sanguins. Le sang s'accumule dans la partie postérieure de l'animal, le coeur reçoit moins de sang, le débit cardiaque diminue, ainsi que la pression sanguine. Si un serpent marin est maintenu en position verticale, tête hors de l'eau, son cerveau n'est plus irrigué et il meurt.
 

La même expérience effectuée sur un serpent arboricole révèle que les contraintes dues à la pesanteur sont réduites, même lorsque le serpent est dressé, tête en haut. La pression artérielle reste élevée, grâce à un meilleur tonus musculaire des vaisseaux. Lorsque les muscles vasculaires sont contactés, le sang est comprimé et la pression sanguine augmente. Elle demeure comprise entre 20 et 60mm de mercure. Le sang s'accumule dans la partie postérieure du corps, mais trois fois moins que chez une espèce aquatique, ou terrestre non arboricole.

 

Chez un serpent semi-arboricole incliné à 45°, tête vers le haut, l'irrigation sanguine des organes et des muscles de la moitié postérieure du corps décroît, mais le flux de sang dans les vaisseaux organes - coeur, poumons, cerveau - ne varie pratiquement pas. La diminution sélective du débit sanguin est due à la vasoconstriction, c'est-à-dire à la constriction des muscles lisses des parois des vaisseaux sanguins. Lorsque les vaisseaux de la partie postérieure du corps ont un diamètre rétréci, la pression sanguine du milieu du corps s'élève, et le sang irrigue les tissus où les vaisseaux sont les moins contractés.

 

Lorsqu'un serpent arboricole est en position verticale, mais cette fois tête vers le bas, les réactions cardiovasculaires sont inversées : le rythme cardiaque s'abaisse, les muscles lisses des vaisseaux se relâchent pour compenser partiellement l'augmentation de la pression de la pesanteur dans la tête. Le sang ne s'accumule pas dans la tête, car le volume veineux y est moins important que dans la queue, et de plus le cerveau se trouve dans un crâne rigide.

La pression sanguine dépend donc du comportement et de l'habitat. La pression artérielle des 5 espèces aquatiques étudiées se situe entre 15 et 39mm de mercure, et, pour les 5 espèces arboricoles, entre 50 et 90mm de mercure. On trouve des valeurs intermédiaires chez les espèces semi-aquatiques et celles qui ne grimpent pas.

Une autre adaptation des serpents à leurs divers milieux de vie est l'emplacement du coeur (voir ci-dessus). Chez les serpents terrestres non arboricoles, il est souvent plus proche de la tête (au quart de la longueur du corps). Placé en position verticale, tête en haut, le serpent reçoit une accumulation de sang dans la queue, car les vaisseaux se dilatent facilement. Situé au milieu du corps chez les serpents marins, le coeur limite le travail de pompage du sang vers les deux extrémités. Le sang ne s'accumule pas dans la queue, car la pression sanguine est compensée par la pression extérieure de l'eau.

 

Chez les arboricoles, la distance moyenne entre la tête et le coeur correspond à 15% de la longueur totale du corps. Plus le coeur est près de la tête, plus l'irrigation du cerveau est facile, en toute circonstance.

La position antérieure  du coeur chez les arboricoles présente toutefois deux inconvénients. Lorsqu'ils ont la tête en bas, la queue risque d'être mal irriguée ; toutefois, elle n'a pas une importance vitale. Mais surtout, quand la tête est en haut, le sang en provenance de la queue doit traverser toute la longueur du corps contre la pesanteur, pour retourner au coeur. Or les coeurs des serpents ne comportent pas de valvules, replis membraneux s'opposant au reflux de sang. Le retour au coeur est facilité par trois mécanismes : la contraction des muscles lisses des vaisseaux, la contraction des muscles squelettiques et la compression par la peau.

 

On remarque qu'un serpent arboricole ayant entrepris une longue progression s'arrête souvent et effectue alors des ondulations du corps, créant des vagues de contractions musculaires de la partie postérieure vers la tête. Ces mouvements ont pour effet de comprimer les veines et de pousser le sang vers la tête. La pression veineuse centrale augmente ainsi à proximité du coeur.

 

Les serpents arboricoles ont un corps de très petit diamètre, ils sont musclés et leur peau est tendue, contrairement aux serpents aquatiques et terrestres non arboricoles, qui ont proportionnellement une peau plus flasque et un corps plus mou, et moins effilé. Cette peau serrée et étroite joue le rôle d'une combinaison anti-G. On observe d'ailleurs la même particuliarité chez de grands mammifères comme l'homme, le cheval, la girafe."

 

 

D'après Harvey Lillywhite (1989) et Yannick Vasse

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